Actualité du 6 avril 2020 : l’AFMI a adres­sé à Madame la Ministre de la Justice le cour­rier ci- dessous :

Madame la Ministre,

Dans le contexte excep­tion­nel que nous vivons, l’Association Française des Magistrats Instructeurs estime urgent de vous aler­ter sur les dif­fi­cul­tés majeures ren­con­trées en juri­dic­tion dans l’ap­pli­ca­tion des dis­po­si­tions de l’or­don­nance 2020-303 du 25 Mars 2020, par­ti­cu­liè­re­ment celles du cha­pitre V rela­tif aux durées de déten­tion pro­vi­soire et à la pro­ro­ga­tion de leurs délais.

L’article 16 de cette ordon­nance pré­voit que « les délais maxi­mums de déten­tion pro­vi­soire (…) sont pro­lon­gés de plein droit » d’une durée variant entre 2 et 6 mois selon la peine encourue.

Or, la cir­cu­laire CRIM-BOL N° 2020 – 00027 du 26 mars 2020 indique que ces dis­po­si­tions ont une inci­dence immé­diate sur tous les man­dats de dépôt et débats de pro­lon­ga­tion, quand bien même les durées totales de déten­tion pro­vi­soire pré­vues par le code de pro­cé­dure pénale né seraient pas atteintes pen­dant la période d’ur­gence sani­taire. Ainsi, un déte­nu pla­cé en déten­tion pro­vi­soire pour une affaire cri­mi­nelle au mois de février 2020 serait pri­vé de débat contra­dic­toire devant un juge jus­qu’en août 2021, au lieu de février 2021.

Les termes de cette cir­cu­laire semblent aller au delà de la lettre de l’or­don­nance, et pro­dui­ront effet long­temps après l’é­tat d’ur­gence en ayant jus­ti­fié l’adoption.

Cette cir­cu­laire crée donc une insé­cu­ri­té juri­dique majeure qui rend les textes inap­pli­cables, ce que la déci­sion du Conseil d’État sta­tuant en réfé­ré le 3 avril 2020 né résout pas, né se pro­non­çant sur aucune des inter­pré­ta­tions en débat, et né pré­ju­geant en rien de la déci­sion que la Cour de cas­sa­tion serait ame­née à prendre.

Les diver­gences d’in­ter­pré­ta­tion qui en résultent donnent lieu à des dif­fé­rences de pra­tiques entre les juri­dic­tions, et les ten­ta­tives pour les har­mo­ni­ser né sau­raient deve­nir des injonc­tions heur­tant l’in­dé­pen­dance des magis­trats du siège, prin­cipe que nous enten­dons fer­me­ment rappeler.

Conformément à la lettre de l’or­don­nance prise, il convien­drait, à notre sens, d’in­di­quer clai­re­ment que seules les déten­tions pro­vi­soires non pro­lon­geables en temps ordi­naire, et arri­vant à expi­ra­tion pen­dant la période de confi­ne­ment, sont pro­ro­gées de plein droit de deux, trois ou six mois.

S’agissant des déten­tions pro­vi­soires pro­lon­geables, tous les débats de pro­lon­ga­tion des man­dats de dépôt pour­raient être main­te­nus pen­dant la période du confi­ne­ment. L’article 19 de l’or­don­nance, qui pré­voit qu’ils puissent se tenir par visio-conférence ou par écrit, trou­ve­rait ain­si natu­rel­le­ment son appli­ca­tion. Ces solu­tions per­met­traient de pré­ser­ver le droit des jus­ti­ciables en déten­tion pro­vi­soire d’ac­cé­der à un juge, dans le res­pect des prin­cipes fon­da­men­taux de la pro­cé­dure pénale, notam­ment du prin­cipe du contra­dic­toire, tout en res­pec­tant les impé­ra­tifs sani­taires liés à la pan­dé­mie du Covid 19.

Ainsi, nous sou­hai­tons, Madame la Ministre, que vous puis­siez cla­ri­fier très rapi­de­ment par une ordon­nance de même force juri­dique, les dis­po­si­tions de l’or­don­nance 2020-303 du 25 Mars 2020.