Paule Gonzalès, Le Figaro
Mal à l’aise, inquiets, parfois à la limite de l’incrédulité. Chez les magistrats dans leur ensemble, la critique du nouveau projet de loi réformant la procédure pénale l’emporte largement. Cette critique, concerne avant tout les pouvoirs octroyés au préfet, « ce nouveau venu de la procédure pénale », directement rattaché au ministre de l’Intérieur et révocable ad nutum par ce dernier. Certains n’hésitent pas à évoquer des changements de nature de la procédure pénale. Aussi, le corps judiciaire, y compris dans ses composantes conservatrices, dénonce une atteinte grave au principe de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.
Toutes les organisations professionnelles mettent désormais en garde contre les risques de dérives du texte qui donne à l’administration – en l’occurrence au préfet – « des pouvoirs quasi pénaux et de restriction des libertés individuelles », condamne Laurence Blisson, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. « Le texte initialement prévu (avant les attentats du 13 novembre dernier, NDLR) avait pour but d’augmenter les garanties prévues par le Code de procédure pénale. Un certain nombre de dispositions vont les contredire, voire les neutraliser. Il est impensable de donner à l’administration, qui dépend de l’exécutif, des pouvoirs restreignant à ce point les libertés individuelles, Le tout sur une base aussi floue, celle d’un simple comportement », continue-t-elle. Elle rappelle au passage que « la justice est compétente via les infractions de l’association de malfaiteurs et‑l’entreprise terroriste individuelle pour mettre les retours de Syrie · sous contre le judiciaire ou même en détention préventive. Pourquoi donner au préfet un tel pouvoir ? », interroge-telle.
« Ce texte est la chronique de la mort annoncée du juge d’instruction ! » dénonce Pascal Gastineau, Président de l’association Afmi : « Qu’il s’agisse de cette assignation à résidence administrative, du pouvoir de perquisition de véhicule ou de la nouvelle rétention au titre du contrôle et de la vérification d’identité, à la demande du préfet, nous assistons à un recul de l’autorité judiciaire. C’est le point noir d’un texte qui contient par ailleurs des dispositions importantes sur la cybercriminalité, le trafic d’armes ou encore le droit financier », martèle Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats. « Nous né voyons pas pourquoi doter le préfet de pouvoirs qui relèvent du procureur de la République. Les parquets né sont-ils pas présents sur le terrain 24h sur 24 et 365 jours par an ? Ont-ils démérité durant les attentats ? » poursuit-elle. Et de souligner « qu’une assignation à résidence n’est « rien d’autre qu’une alternative à l’incarcération qui n’en aurait pas le nom. De deux choses l’une : ou l’individu a commis une infraction et nous sommes forcément dans le judiciaire, ou il n’a rien fait et l’on né voit pas pourquoi une telle restriction de liberté tente ainsi d’en pérenniser les mesures », affirme-t-elle, redoutant « un Patriot Act à la française décidé en catimini ». « C’est une tendance lourde actuelle que celle de marginaliser sans cesse la justice en renforçant la police et le corps préfectoral, sans aucune garantie réelle. Les derniers recours – toujours bien sûr a posteriori – ont montré que les tribunaux administratifs avaient du mal à faire usage de leur pouvoir d’appréciation dans le contexte d’urgence des attentats ». Et la responsable syndicale de rappeler qu’en octobre dernier « un décret avait déjà renforcé les pouvoirs des préfets au sein des états-majors de sécurité en les autorisant à contrôler l’application des peines. Ce qui relève du Juge de l’application des peines et du procureur. Nous assistons à une modification profonde de notre système judiciaire dans un contexte d’émotion ».
Pour la secrétaire générale du syndicat FO Magistrats, Béatrice Brugère, « ce texte est une façon de normaliser l’état d’urgence par une loi ordinaire. Par peur de né pouvoir prolonger ce dernier à partir d’avril ». Pascal Gastineau, le président de l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi), va plus loin en estimant que ce texte est « la chronique de la mort annoncée du juge d’instruction ». Dans son· chapitre premier, la loi élargit les pouvoirs d’investigation aux forces de police et aux parquets, lors des enquêtes de flagrance ou préliminaire. « C’était jusque-là l’apanage du juge d’instruction, tout comme l’était également le contrôle judiciaire », note-t-il. « Les parquets auront compétence en matière de sonorisation, de captation d’images ou de perquisition domiciliaire de nuit en ce qui concerne le terrorisme, la criminalité et la délinquance organisée. Ces deux incriminations constituent 80 % des affaires que traitent les juges d’instruction. Aussi n’est-ce pas un domaine d’intervention limité. Quant à la garantie que donnerait l’intervention du juge des libertés et de la détention, la réalité veut que la plupart du temps il n’a aucune connaissance du dossier. Aussi sera-t-il compliqué pour lui de s’opposer à la volonté des parquets en matière de mesure d’enquêtes. » Par la voix de son président, l’Afmi fait également remarquer que « les procureurs n’ont pas le statut de magistrats indépendants puisqu’ils sont nommés par le pouvoir politique. Ils sont donc soumis au plan de politique pénale décidé par le gouvernement via les parquets ». Coup de grâce : « Dans son article 23, la loi prévoit que le procureur mène « l’enquête à charge et à décharge ». C’est justement ce qui définit le juge d’instruction que l’on est en train de déshabiller.. Après tout, cela sera-t-il encore nécessaire d’ouvrir des instructions judiciaires ? »,estime Pascal Gastineau, qui n’est pas loin de penser que le gouvernement actuel réussit à bas bruit là où le précédent a échoué.