Communiqué de presse L'Association Française des Magistrats Instructeurs (AFMI) a pris connaissance avec consternation des échanges survenus le mardi 19 mars 2024 au Tribunal judiciaire de Marseille entre le Garde des Sceaux et les magistrats ayant participé à la récente commission d’enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France. L'AFMI rappelle que le juge d’instruction est un magistrat du siège, non soumis à l’autorité hiérarchique du Garde des Sceaux. Il est soumis à un principe de loyauté à la loi et à son serment de magistrat. Il est directement en prise avec les réalités judiciaires de la délinquance. Magistrat dépolitisé dans l’exercice de ses fonctions, il est sidérant qu’un Garde des Sceaux puisse lui reprocher de « faire le jeu » de tel ou tel mouvement politique lors d’un témoignage sous serment devant les élus de la Nation. Notre collègue juge d'instruction de Marseille a dépeint avec courage, lucidité et sincérité sa perception de l'état du narcotrafic dans le sud de la France. Elle a dressé le constat de la situation de cette frange de la criminalité organisée et s’est exprimée sur l'état de la menace et sur les enjeux pour y répondre. L'expression de cette réalité de terrain par un magistrat enquêteur doit nécessairement interpeller la représentation nationale. Comme l’ont par ailleurs rappelé le Conseil Supérieur de la Magistrature et la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le magistrat a une liberté de parole essentielle dans une démocratie. Enfin, comme toute personne auditionnée par une commission d'enquête parlementaire, il a un devoir de vérité quand il s'exprime sous serment. L'AFMI maintient que la réforme récente de la police nationale qui est aujourd'hui en cours de déploiement n'est pas de nature à répondre aux enjeux judiciaires de la lutte contre la délinquance du haut du spectre, que ce soit en matière de narcobanditisme ou de criminalité économique et financière. Dans ce contexte, les opérations « Place nette » qui mobilisent, de façon ponctuelle, des moyens considérables de policiers sur la voie publique ne peuvent être suffisants pour endiguer le narcotrafic. Ces actions doivent nécessairement s'accompagner d'enquêtes de fond, de longue haleine, à l'abri des campagnes médiatiques. Cela requiert ainsi des enquêteurs de Police judiciaire spécialisés en nombre suffisant, des moyens matériels et techniques dédiés, une procédure pénale simplifiée et une meilleure coopération judiciaire internationale. L’AFMI appelle à un État de droit fort et au respect de ceux qui le servent et notamment à l'autorité judiciaire. Il ne s'agit pas de faire preuve de misérabilisme que de dire que les magistrats instructeurs exercent leur mission avec des moyens sans commune mesure avec ceux des réseaux criminels dont la puissance ne cesse de croître. Il ne s'agit pas de faire de défaitisme que de dire que nous sommes en train de perdre la lutte contre le narcobanditisme, et contre la criminalité au sens large, si les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il s'agit de répondre à un devoir d'expression devant la représentation nationale. Cette liberté de parole de praticien du droit ne saurait être entravée par des considérations politiques.