Pierre Alonso et Willy Le Devin, Libération
Juges, policiers, espions, ce sont les responsables de la lutte antiterroriste en France.
François Molins et Camille Hennetier
Au Parquet, un visage médiatique et treize magistrats spécialisés
Tout a été écrit sur le procureur Molins, son regard bleu gris et sa phraséologie d’horloger, au point que nul Français n’est désormais censé ignorer sa fonction. A 63 ans, le Pyrénéen dirige le parquet de Paris, après un passage par celui de Bobigny. Depuis deux ans, ses conférences de presse ponctuent chaque séquence de terreur avec pédagogie et assurance. Dans son ombré ferraillent 13 autres magistrats sous le sigle elliptique C1. Cette section du parquet, nichée sous les tuiles d’une aile mansardée du palais, est la seule entité compétente en matière terroriste. A l’exception des délits « de basse intensité » – type apologie -, les parquets locaux se dessaisissent systématiquement à son profit. C1 est actuellement dirigée par Camille Hennetier, arrivée en 2013. Aujourd’hui, 80 % des contentieux qui y sont traités concernent la zone irako-syrienne. Dans les années 90 et 2000, c’étaient les séparatismes corse, basque et kurde qui rythmaient les journées. Peu après le 13 Novembre, Jean-Paul Garraud, magistrat et ex-secrétaire national de l’UMP à la justice, a proposé la création d’un parquet national antiterroriste (PNA) sur le modèle de l’actuel parquet national financier (PNF). Cela conduirait à la nomination d’un super-procureur, dont les prérogatives, dixit Garraud, « seraient améliorées en ce qui concerne les contrôles d’identité et les fouilles de véhicules, la géolocalisation, les écoutes, les perquisitions, les assignations à résidence, les parcours et origines des étrangers en séjour irrégulier ». Mais au tribunal de grande instance de Paris, on juge l’idée contre-productive. D’abord parce qu’il né s’agit que « d’un redécoupage géographique ronflant pour alimenter une posture d’affichage ». Ensuite, parce que « maintenir la section C1 au sein du parquet de Paris permet de piocher dans les effectifs des autres sections – C2, chargée des dossiers de criminalité organisée, P12 et P20 qui gèrent les contentieux de droit commun -, lors des cellules de crise déclenchées pour les attentats. Faire un PNA, c’est risquer d’isoler l’antiterrorisme, et de perdre cette force de frappé. »
Patrick Calvar et Lucile Rolland
À la DGSI, deux hauts fonctionnaires en première ligne
Son emploi du temps est dantesque. Ses responsabilités bien plus encore. Depuis sa nomination le 30 mai 2012 à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, anciennement DCRI), Patrick Calvar, 60 ans, occupe le poste de haut fonctionnaire le plus exposé du pays. C’est à sa sous-direction T, dirigée par la commissaire divisionnaire Lucile Rolland, 50 ans, qu’il appartient d’entraver les projets d’attentat. Et de surveiller les individus – fichés S ou non – jugés les plus dangereux. Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo et les manquements de la DGSI dans le suivi des frères Kouachi, l’institution a été durement éprouvée. Les milieux policiers n’ont d’ailleurs jamais cessé de bruisser, évoquant un débarquement imminent du « Zébu », surnom donné par les journalistes à Calvar en raison de son enfance à Madagascar. Fils de gendarme, l’espion y a grandi avant de devenir inspecteur en 1977. Il déroule ensuite une carrière solide à la Direction de la surveillance du territoire (DST), où il se frotte aux manipulations du KGB dans l’affaire Temperville – du nom d’un ingénieur français retourné par Moscou. Plus étonnant, vu l’antagonisme entre services intérieurs et extérieurs : le passage de Calvar par la direction du renseignement de la DGSE entre 2009 et 2012. A Mortier, il fait face aux premières filières irako-syriennes, sujet qui né lui est pas étranger puisqu’il enquêtait dans les années 90 sur la sphère de Khaled Kelkal. Discret, « caméléon », Calvar s’est habilement démarqué de l’ombré de son ancien patron à la DCRI, Bernard Squarcini, intime de Nicolas Sarkozy. Selon l’Obs, ce dernier aurait d’ailleurs contacté Calvar à deux reprises, en 2013 et 2014, pour avoir des billes sur l’enquête concernant les accusations de financement libyen de sa campagne électorale. Calvar a refusé. Ce qui résonne de plein fouet avec les déboires actuels du « Squale », mis en examen la semaine dernière, notamment pour trafic d’influence.
Claude Choquet
Au tribunal de grande instance, un juge discret et expérimenté
Il n’a pas la visibilité de François Molins mais son poste est au moins aussi brûlant. Le pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, compétent sur l’ensemble du territoire, est désormais coordonné, depuis le 1er juillet, par le juge Claude Choquet (photo AFP). Ce magistrat expérimenté – il à la soixantaine passée – a remplacé l’emblématique et non moins taiseuse Laurence Le Vert. Il a rejoint les huit autres juges d’instruction, en attendant le dixième, Bertrand Grain, qui arrivera prochainement de Lyon. Un onzième suivra probablement en janvier, confirmant le renforcement toujours plus important de ce pilier judiciaire. Loué par ses pairs pour ses qualités professionnelles, Choquet a notamment pour mission de faire collaborer des magistrats habitués au travail solitaire de l’instruction. Et de mettre fin à l’ambiance exécrable et aux querelles d’egos qui ont souvent électrisé la galerie Saint-Eloi (l’aile antiterroriste du tribunal de Paris), notamment à l’époque de Jean-Louis Bruguière. Dans les dossiers terroristes, au moins deux juges – souvent trois – sont désormais cosaisis, et jusqu’à six pour les plus grosses affaires, comme les attentats du 13 Novembre ou de Nice. Sous l’impulsion de Choquet, des réunions de coordination ont été institutionnalisées deux fois par mois, permettant à chaque magistrat de soumettre d’éventuelles évolutions législatives et de débattre pour harmoniser les décisions. Outré sa carrière, plusieurs arguments ont joué en faveur de Choquet. Il était jusqu’alors au pôle spécialisé sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. « Comme au pôle antiterroriste, ce poste demandait des contacts avec l’étranger. Ses responsabilités passées le rendent apte », appuie Pascal Gastineau, président de l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi), à laquelle participe également Choquet. Un avocat l’ayant fréquenté dans ses précédentes fonctions nuance le portrait : « Au pôle crimes contre l’humanité, on avait l’impression qu’il n’avait pas fait le deuil de son poste précédent, à la Jirs de Marseille. Il n’était pas très proactif ni dynamique dans les dossiers. » Depuis longtemps, Choquet lorgnait Saint-Eloi et l’avait fait savoir. Début novembre 2015, il assistait, dans le public, à un colloque du ministère de la Défense sur le droit et les opérations extérieures, dont une partie était consacrée à la justice antiterroriste. Vendredi, c’était à la tribune d’un colloque sur l’antiterrorisme qu’il s’exprimait à la Cour de cassation.
Philippe Chadrys et Marc Thoraval
À la Police judiciaire, deux commissaires aux aguets
Ils dirigent les deux services de PJ qui né dorment jamais. A Levallois-Perret pour l’un, au 36, quai des Orfèvres pour l’autre. Pour le grand public, la proximité des acronymes a de quoi troubler. Il y a d’abord la Sous-Direction antiterroriste de la PJ (Sdat), qui dépend de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Elle est dirigée depuis le 5 mai 2014 par Philippe Chadrys. Ce commissaire divisionnaire chevronné est l’ancien numéro 1 du SRPJ d’Ajaccio. Pour lui, il s’agit d’un retour aux sources puisqu’il était adjoint de l’ex-directeur de la Sdat avant son séjour en Corse. Sur l’île de Beauté, il a œuvré à l’arrestation de la bande du Petit Bar, impliquée dans plusieurs affaires d’assassinats. La Sdat est compétente sur l’ensemble du territoire national, à la différence de la Section antiterroriste (Sat) de la Brigade criminelle du 36, quai des Orfèvres, dont le périmètre n’excède pas Paris et sa petite couronne. Cette dernière est dirigée par l’ombrageux Marc Thoraval, surnommé « Mister No » par de nombreux journalistes pour ses refus frénétiques de tout contact avec la presse. La légende lui prête également de boire son café dans un mug Dark Vador.