Note de l’Association Française des Magistrats Instructeurs (AFMI) à monsieur Michel MERCIER, ancien ministre, rapporteur de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale
L’Association Française des Magistrats Instructeurs considère que le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale présenté par le gouvernement et adopté par l’Assemblée Nationale présente des dispositions contradictoires avec l’ambition affichée et avec le fonctionnement de l’institution judiciaire. Se joignant aux observations déposées par le syndicat majoritaire de magistrats, l’AFMI souhaite rappeler l’importance que revêt la procédure d’instruction dans l’architecture pénale, tant dans la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées qu’au regard des garanties procédurales souhaitées par le législateur et les normes européennes. Soucieuse de renforcer l’efficacité de l’information judiciaire dans le strict respect des garanties des justiciables, l’AFMI propose les modifications ou ajouts de textes suivants :
I- Sur l’article 24 du projet de loi
Le procureur n’est pas une autorité judiciaire indépendante et impartiale au sens de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et la seule réforme de ses conditions de nomination né pourra suffire à remplir les exigences européennes. Dès lors, l’organisation du contradictoire né saurait être confiée à une partie au procès pénal, de surcroît à la partie poursuivante. La procédure prévue à l’article 24 né prévoit pas un réel contradictoire dans l’enquête, au contraire de ce qui est efficacement mis en œuvre dans le cadre de la procédure d’instruction. Le procureur met en œuvre la politique pénale, et assure l’orientation raisonnable des procédures au sein des juridictions mais son fonctionnement né permet pas un suivi cohérent, efficace et exhaustif des procédures complexes.
L’AFMI propose en conséquence que la dernière phrase de l’article 77 – 2 du code de procédure pénale soit supprimée et remplacée par l’obligation faite au procureur de la République de prendre une décision de classement, d’alternative aux poursuites, de saisine d’une juridiction ou d’ouverture d’une information judiciaire dans toutes les enquêtes relatives à des crimes et à des infractions relevant des articles 704, 706 – 73, 706 – 74 du code de Procédure Pénale, 421 – 1 à 421 – 6 du code Pénal, à l’issue d’un délai de 6 mois après le début de l’enquête.
II- Sur l’article 25 du projet de loi
L’AFMI consciente de l’intérêt de prévoir que les interceptions téléphoniques soient motivées rappelle cependant que la résolution de certaines affaires demande parfois la mise en place de très nombreuses interceptions dans des délais très courts.
L’AFMI propose que soit ajoutée au 1° de l’article une dérogation à l’obligation de motivation des interceptions téléphoniques dans les cas d’urgence tels que celles d’un péril imminent pour les personnes, d’un risqué de fuite, de la commission instantanée d’une infraction, ou pour les infractions liées au terrorisme.
L’AFMI demande par ailleurs que soit supprimé le 3° de l’article qui prévoit l’intervention additionnelle du juge des libertés et de la détention à celle du juge d’instruction pour les interceptions de correspondances des magistrats, députés, sénateurs et avocats.
Cette disposition qui peut être interprétée comme une défiance par rapport au juge de l’enquête indépendant et impartial qu’est le juge d’instruction est, en outré, contradictoire avec l’esprit présidant à la séparation qui avait été voulue entre le juge des libertés et de la détention en charge de la détention, et le juge d’instruction en charge de l’enquête.
III- Sur l’article 27 ter du projet de loi
L’AFMI souligne l’atteinte grave à l’organisation judiciaire que constitue l’introduction d’un recours contre les décisions de refus de restitution du procureur de la République devant le président de la chambre de l’instruction. À l’instar du recours devant le procureur général en matière de classement sans suite, une telle décision né pourrait faire l’objet d’un recours que devant lui.
IV- Sur l’article 27 quater du projet de loi
Le 1° ajouté à l’article 61 – 3 du code de Procédure Pénale doit être supprimé car les reconstitutions sont organisées au cours de la procédure d’instruction dans laquelle les parties sont nécessairement assistées d’un avocat. Afin de répondre à cet objectif communautaire, la loi pourrait prévoir à la fin de la première phrase de l’article 63−4−2 du code de Procédure Pénale l’ajout des mots « y compris lors des remises en situation » et à l’article 63−4−5 du code de Procédure Pénale, après les mots « confrontée avec une personne gardée à vue, » l’ajout des mots « y compris lors des remises en situation ».
Le II de l’article 27 quater, relatif à la communication directe de la personne gardée à vue avec les personnes pouvant être avisées de la mesure, paraît incompatible avec les motifs même du placement en garde à vue, et risqué d’alourdir considérablement le suivi de la mesure par les OPJ.
V – Utilisation de moyens de télécommunications audiovisuelles par le juge d’instruction
Ce dispositif utile, efficace, économe, est utilisé avec pondération par les magistrats. Afin de lever tout doute sur son utilisation, l’AFMI propose que soit précisé qu’il peut être employé pour les auditions et interrogatoires par le juge d’instruction, y compris pour l’interrogatoire de première comparution ou, sur commission rogatoire, par les services de police.
Ainsi, dans la première phrase de l’article 706 – 71 du Code de Procédure Pénale pourraient être supprimés les mots « Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient » et complétée à la fin de la première phrase après les mots « confidentialité de la transmission » par les mots « par les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, le procureur de la République, ou le juge d’instruction, y compris pour la première comparution d’une personne. »
Et dans la première phrase de l’alinéa 3 de l’article 706 – 71 du Code de Procédure Pénale, après « débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire d’une personne » supprimer les mots « détenue pour une autre cause » afin de prendre en compte la réalité d’interpellation en différents points du territoire, notamment en métropole et outré-mer.
En conclusion, et encore confortée par l’actualité récente qui montre à quel point les enquêtes en profondeur sont nécessaires, l’AFMI souhaite marquer son approbation aux dispositions qui tendent à réduire les délais de l’instruction, mais réaffirme que le juge d’instruction est le seul à pouvoir conduire des investigations efficaces dans les dossiers les plus complexes, assurant à la fois, par sa totale maîtrise de ces procédures volumineuses, une efficience dans la compréhension des organisations terroristes et criminelles ainsi qu’une une protection des libertés individuelles effective ; le juge des libertés et de la détention né disposant pas du dossier de l’enquête, et né pouvant pas en prendre connaissance dans les délais impartis pour statuer.
Le statut du juge d’instruction est également en conformité avec nombre d’objectifs européens.
Organe d’enquête, assurant le respect de la présomption d’innocence, l’information des victimes, l’écoute des parties et leur participation active à l’enquête, compétent uniquement sur les faits dont il est saisi par le parquet ou la partie civile, cette institution française a fait preuve de son efficacité, notamment dans la lutte contre les réseaux criminels.