L’ensemble des travaux approfondis, ayant abouti à la loi n°2007 – 291 du 5 mars 2007, a démontré que la collégialité permettrait à la fois de rompre l’isolement du juge d’instruction, de renforcer son autorité face aux services d’enquête, de soumettre l’instruction à des regards croisés, de garantir une continuité dans le suivi des dossiers et d’offrir un cadre idéal à la formation des nouveaux juges d’instruction : autant d’éléments de nature à améliorer la qualité du service public et à limiter le nombre des erreurs judiciaires.
A titre liminaire, il convient de rappeler la synthèse qui était faite par la Chancellerie, en mars 2007, des dispositions votés à l’unanimité par les parlementaires en réponse aux critiques et recommandations formulées par « la commission Outreau ».
Publication au JORF n° 55 du 6 mars 2007
La loi n° 2007-291 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a été signée le 5 mars 2007.
Collégialité de l’instruction : la collégialité de l’instruction sera la règle pour chaque information judiciaire ouverte. Trois juges d’instruction seront désignés, dont un du premier grade qui exercera les fonctions de coordonnateur. Ce seront trois magistrats qui prendront les principales décisions de la phase d’instruction (article 83 alinéa 1 du code de procédure pénale).
Ces dispositions entreront en vigueur le premier jour de la troisième année qui suivra la date de publication de la loi.
L’AFMI propose de maintenir le projet ambitieux du législateur de 2007, tout en l’aménageant en lui donnant une grande souplesse et en introduisant une progressivité dans la mise en œuvre pour tenir compte des réalités en terme de moyens humains et matériels.
1. Pourquoi confier l’instruction à une formation collégiale de trois juges ?
Outré les avantages rappelés en introduction et unanimement reconnus par l’ensemble des groupes de travail ayant œuvré à la réforme de l’instruction, il nous semble que cette forme de collégialité est la seule qui permette que le travail en équipe soit effectif, puisque les éventuelles divergences de vues né pourront être réglées qu’à la majorité et non par un juge d’instruction ayant voix prépondérante.
Enfin, cette configuration offre une grande souplesse dans la mesure où elle multiplie les possibilités de répartition du travail au sein de la collégialité, en fonction de la réalité de chaque dossier.
2. Qu’entend on par collégialité ?
La Loi opte pour une collégialité obligatoire minimale puisque l’article 83 du Code de procédure pénale prévoit que « Le Président du Tribunal désigne, pour chaque information, une formation collégiale de trois juges d’instruction, dont un magistrat du premier grade exerçant la fonction de juge coordonnateur. Les décisions de mise en examen, d’octroi de statut de témoin assisté à une personne mise en examen, de placement sous contrôle judiciaire, de saisine du juge des libertés et de la détention et de mise en liberté d’office ainsi que les avis de fin d’information, les ordonnances de règlement et de non lieu doivent être pris de manière collégiale. Les autres actes relevant de la compétence du juge d’instruction peuvent être délégués à l’un des juges d’instruction composant le collège. »
Ce qui implique que toutes les informations seront confiées à une formation collégiale, que certains actes devront obligatoirement faire l’objet d’une décision collégiale et que pour les autres actes la collégialité sera à géométrie variable.
Cette option soulève trois questions :
• la désignation d’une formation collégiale est elle nécessaire dans l’ensemble des affaires ?
• quels actes doivent relever d’une décision collégiale ?
• quelles doivent être les règles de fonctionnement de la collégialité ?
a) La désignation d’une formation collégiale est elle nécessaire dans l’ensemble des dossiers ?
On pourrait penser que les dossiers né présentant pas de grandes difficultés peuvent se passer de la saisine d’une formation collégiale. Cette option réduit une partie des bénéfices escomptés de la collégialité, plus particulièrement en termes de formation des jeunes magistrats, de continuité dans le suivi des dossiers au départ d’un juge d’instruction et de renforcement des garanties du justiciable. Elle se traduirait par une majorité d’affaires instruites à juge unique et donc par un maintien, au moins partiel, du statu quo.
Cependant, à titre transitoire, tant que les effectifs né sont pas suffisamment renforcés, la loi pourrait prévoir que, à l’exception des crimes et des délits complexes, en l’absence de difficultés particulières, l’instruction pourrait rester confiée à un juge unique. Cette situation devrait être limitée dans le temps. On pourrait considérer qu’il s’agirait d’une première étape d’entrée dans la collégialité en 3 étapes. Cette première étape aboutirait à transformer les situations de cosaisine en collégialité.
b) Quels actes doivent relever d’une décision collégiale ?
L’article 83 précité confie à une décision collégiale les actes relatifs au statut de la personne mise en cause (mise en examen, octroi du statut de témoin assisté à une personne mise en examen), à la détention provisoire, au placement sous contrôle judiciaire ou à la mise en liberté d’office et à la fin et à la clôture de l’information.
Ce choix nous apparaît impossible à mettre en œuvre sans un renforcement très conséquent des effectifs et serait d’une cohérence discutable.
En effet, il exclue de la décision collégiale des actes déterminants en cours d’instruction, tels que l’extinction ou la prescription de l’action publique, ou encore l’ordonnance déclarant irrecevable une constitution de partie civile ou saisissant la chambre de l’instruction aux fins de statuer sur la nullité d’actes d’enquête ou d’instruction.
Enfin, il né tient aucun compte des difficultés d’organisation résultant du fait que la majorité des décisions de mise en examen, de saisine du juge des libertés et de la détention ou de placement sous contrôle judiciaire intervient dans le cadre de la permanence et qu’il apparaît extrêmement difficile de mobiliser trois juges à chaque permanence.
C’est pourquoi, dans le but d’alléger la collégialité, nous proposons de réserver le recours obligatoire à la décision collégiale dans un premier temps pour quatre décisions déterminantes dans l’orientation de l’instruction, à savoir :
-
les ordonnances relatives à l’extinction ou la prescription de l’action publique,
-
les ordonnances relatives à l’irrecevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile,
-
les ordonnances saisissant la chambre de l’instruction aux fins d’annulation des actes d’enquête ou de l’instruction,
-
les ordonnances clôturant l’instruction.
Puis dans une seconde phase l’extension du collègue aux quatre décisions suivantes :
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les ordonnances relatives aux demandes d’actes,
-
l’avis de fin d’information,
-
les ordonnances relatives au changement de statut d’un témoin assisté ou d’un mis en examen,
-
les ordonnances relatives à la prolongation de la détention provisoire,
Afin de privilégier une collégialité qualitative à une collégialité quantitative, la seconde phase aura pour objet d’étendre les pouvoirs du collège, avant de généraliser les collèges à l’ensemble des instructions judiciaires (3ème phase).
c) Quelles doivent être les règles de fonctionnement de la collégialité ?
Afin que la collégialité fonctionne, il convient que chaque formation soit composée toujours des mêmes magistrats pour qu’ils puissent développer une méthode de travail et des liens privilégiés avec leurs différents interlocuteurs.
Pour concilier une certaine souplesse de fonctionnement il pourrait être prévu que le collège de l’instruction, par décision d’administration de la justice, puisse à tout moment procéder à tout acte, soit en collégialité soit, par délégation, en étant représenté par un ou deux magistrats instructeurs.
Afin toutefois, que cette collégialité n’aboutisse pas à une dé-responsabilisation ou un non- investissement des magistrats qui né seraient pas le coordonnateur de ces formations, il conviendra que chacun des juges composant cette formation soit référent pour une partie des dossiers confiés à la collégialité.
Cette solution aura en outré l’avantage d’offrir aux parties un interlocuteur unique.
De façon à rendre plus souple le fonctionnement de cette collégialité, il y aura lieu d’ajouter la possibilité pour le juge coordonnateur de déléguer les actes né relevant pas obligatoirement de la collégialité à un ou deux des membres du collège.
Afin de rendre effective la collégialité, il convient de prévoir que le collège né soit composé que de juges situés dans un même lieu et que chaque juge du collège de l’instruction dispose des droit d’accès au dossier numérisé comme à l’original, y compris l’encours.
3. Les moyens indispensables à la réussite de cette réforme
a) Le regroupement des juges d’instruction dans les pôles d’instruction
Nous avons été extrêmement favorables à la création des pôles de l’instruction et de leurs juges coordonnateurs, nous appuyant sur l’expérience des pôles spécialisés déjà existants, notamment dans les juridictions inter régionales spécialisées dans la lutte contre la délinquance organisée.
Le travail en équipe, ainsi facilité, porte ses fruits en terme de partage d’informations, de rapprochement de dossiers, d’échanges sur les pratiques professionnelles, de relations rénovées siège/parquet pour un meilleur suivi des dossiers , de nouvelles méthodes de travail avec les services enquêteurs, de coopération internationale.
Dans l’optique d’un développement de la collégialité, il est essentiel de né pas laisser subsister trop longtemps des juges d’instruction dans les tribunaux non dotés de pôles de l’instruction et que ces pôles soient suffisamment importants pour qu’un nombre de collégialités suffisant les composent. En conséquence, nous souhaitons que le regroupement des juges infra-pôles se fassent dès la première phase de la collégialité.
b) Des moyens humains permettant un suivi effectif par les formations collégiales
Immanquablement, des juges d’instruction supplémentaires devront être recrutés ou nommés afin que les pôles soient dotés d’un nombre de magistrats suffisants, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ainsi qu’il résulte de l’étude que nous avons menée auprès de l’ensemble des pôles existants.
Sur ce point, nous estimons comme un minimum la création de 40 postes de magistrats et 40 postes de greffier pour chacune des trois phases la mise en place de la collégialité. De plus, dès la première phase, l’intégralité des postes de juges d’instruction infra-pôles devra être redéployée sur les pôles d’instruction afférant.
Soit sur 3 années, 120 postes de JI et 120 postes de greffiers, et à la condition expresse que l’intégralité des postes de JI infrapôles (environ 80, ainsi que les postes de greffières d’instruction infra-pôles) soit réintégrée dans les pôles d’instruction.
c) L’abandon de la co-saisine
La co-saisine qui avait été instituée dans l’attente de la mise en place de la collégialité disparaitrait dès la 1ère d’étape de l’entrée en vigueur de la collégialité.
4. La progressivité de la mise oeuvre de la réforme :
L’entrée vigueur de la collégialité généralisée (3ème étape) – à savoir l’obligation d’une décision collégiale pour les 8 décisions déterminantes dans l’orientation de l’instruction – supposerait idéalement une augmentation des effectifs de l’ordre de 200 emplois par rapport à l’effectif théorique actuel.
Il sera rappelé qu’entre 2009 et 2012, les effectifs de juges d’instruction sont passés de 623 à 540, subissant une véritable saignée, et remontent péniblement depuis 2013 (555 postes en 2013 ; 559 postes en 2014).
L’intégration des 80 juges d’instruction infra-pôles (rarement à 100% ETPT pour l’instruction), et la création de 120 postes sur trois ans, devrait permettre une telle réforme ambitieuse et réaliste. L’AFMI soutenant cette réforme indispensable, nous avons donc imaginer une mise en œuvre progressive pour qu’elle puisse être compatible avec un contexte budgétaire contraint.
Ces propositions s’inscrivent parfaitement dans l’esprit de la Loi 5 mars 2007 et elles se veulent réalistes en termes de moyens budgétaire à affecter à la justice pour assurer en trois étapes le succès de la réforme.
Nous sollicitons à cette occasion l’organisation d’un groupe de travail avec les services de la Chancellerie afin d’exposer ce projet de collégialité esquissé par l’Association Française des Magistrats Instructeurs et débattre rapidement des modalités de mise en œuvre de la collégialité de l’instruction.
Fait à Paris, le 27 avril 2015
Annexe : une proposition de calendrier
1ère phase (1er septembre 2016 / 1er janvier 2017 ?) :
Tous les crimes et les délits « complexes » (à l’instar de l’actuelle co-saisine), ainsi que les dossiers où le juge d’instruction en fait la demande.
Concerne les actes dits « basiques » : ordonnance relative à l’extinction publique, ordonnance d’irrecevabilité des parties civiles, ordonnance de saisine de la Chambre de l’instruction pour annulation ; ordonnance de clôture.
Moyens de la première phase : regroupement sans perte des juges d’instruction infrapôles (environ 80) ; + 40 poste de juges d’instruction + 40 postes de greffiers.
2ème phase (un an plus tard) :
Extension aux 4 actes supplémentaires (ordonnance de saisine de prolongation de détention provisoire ; ordonnance d’octroi ou de refus du statut de témoin assisté ; avis de fin d’information ; ordonnance sur les demandes d’actes).
Moyens de la seconde phase : 40 poste de juges d’instruction + 40 postes de greffiers.
3ème phase (normalement un an après la deuxième phase, mais nécessité d’un bilan obligatoire des 2 premières années) :
Extension à tous les dossiers d’instruction, donc mêmes les délits non « complexes ».
Moyens de la troisième phase : 40 postes de juges d’instruction + 40 postes de greffiers.
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