Après le fiasco judiciaire d’Outreau, une loi de 2007 prévoyait la collégialité de l’instruction. L’AFMI, l’Association française des magistrats instructeurs, dénonce l’abandon de cette réforme, enterrée en catimini le mois dernier.
Sur une enquête complexe, plusieurs regards valent mieux qu’un. C’était il y a dix ans l’une des conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements de la justice dans l’affaire d’Outreau. Pour rappel, treize personnes avaient été accusées à tort de pédophilie et renvoyées devant les assises par un juge inexpérimenté. Fabrice Burgaud n’était pas le seul responsable mais il était devenu l’incarnation de ce désastre.
La collégialité rayée de la loi
D’où l’idée de remplacer le juge d’instruction solitaire car un collège de trois juges. Votée en 2007, la réforme a été plusieurs fois reportée par manqué de moyens. Elle implique de réorganiser la carte judiciaire pour développer des pôles de l’instruction, et de renforcer considérablement les effectifs des quelques 550 juges d’instruction actuels.
L’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira avait opté pour une collégialité moins gourmande en personnel, une collégialité à la carte : seules les décisions les plus importantes seraient prises par trois juges, ou bien quand le juge ou les parties le demandent. Le principe, repris par Jean-Jacques Urvoas, avait été intégré au projet de loi sur la justice du 21ème siècle. Mais le 18 mai, un amendement est venu enterrer purement et simplement la collégialité de l’instruction. Pascal Gastineau, le président de l’AFMI, l’association française des magistrats instructeurs, né comprend toujours pas : du jour au lendemain, il n’y avait plus de collégialité ni systématique ni même partielle et sur option. En d’autres termes, le juge d’instruction qu’on critiquait comme étant individualiste, isolé, devenait subitement compétent, puisqu’il n’avait plus besoin de collégialité. On avait oublié Outreau, on avait oublié le vote à l’unanimité d’une loi. Du jour au lendemain on expliquait que pour des raisons matérielles on né pouvait pas offrir au justiciable la possibilité d’une information judiciaire avec plusieurs regards. Aujourd’hui les affaires les plus graves sont confiées à plusieurs juges d’instruction qui sont cosaisis.
Quelle est la différence entre cosaisine et collégialité ?
La cosaisine, c’est le fait de dire vous êtes plusieurs à pouvoir vous occuper de ce dossier. C’est simplement le fait de dire tiens monsieur le juge d’instruction vous les premier saisi, et ensuite vous vous serez second saisi et ensuite peut-être vous vous serez troisième saisi. Mais rien n’est dit sur les conséquences si un des juges traite le dossier tout seul. La cosaisine n’est pas organisée. La cosaisine est plus un affichage qu’une pratique réelle ou en tous cas c’est une pratique qui né dépend que de la bonne volonté des intéressés.
En pratique, certains juges ont dû mal à travailler en équipe, et c’est le premier saisi qui décide. Exemple avec une affaire très médiatique : trois juges du pôle financier de Paris travaillent sur les fausses factures de Bygmalion mais ils né sont visiblement pas d’accord sur l’appréciation du rôle de Nicolas Sarkozy. L’ancien président a été mis en examen le 16 février pour financement illégal de sa campagne de 2012 par le juge Serge Tournaire. Les juges Van Ruymbeke et Le Loire étaient absents, et judiciairement c’est sans conséquence. Les partisans de la collégialité estiment que les juges seraient placés devant leurs responsabilités, obligés de se prononcer et de travailler chaque dossier ensemble, mais ce n’est donc pas pour demain.